Vous connaissez sûrement la slameuse, vidéaste et photographe oranaise Zoulikha Tahar sous le nom de « Toute Fine ». Cela fait presque deux ans que nous la suivons. À 25 ans, elle est doctorante en mécanique des matériaux et elle utilise les réseaux sociaux pour « transmettre [s]es émotions et passions sans prétention. » Elle est la co-réalisatrice, avec Sam MB, d’un court-métrage sur le harcèlement de rue. Toutes deux font parti d’Awal, un collectif de slammeur.se.s qui a vu le jour en 2016 suite à un atelier Slam organisé par Toute Fine. Récemment, elle a publié Presque deux son premier recueil qui a été mis-en-scène sous forme de représentation à la Nouvelle Seine le 26 novembre dernier. Le journal France24 la désigne comme étant parmi les observatrices africaines qui « par leur engagement pour la société, la culture ou l’environnement, marquent de leur empreinte le continent. » Toute Fine est une slameuse engagée qui raconte l’Algérie, Oran, la rue, les femmes en plusieurs langues.
Ce qui l’a amenée vers l’écriture c’est d’abord l’influence de sa mère et la lecture. « Je lisais tous ce qui tombait entre mes mains, nous dit-elle, ma mère m’a toujours encouragée et dirigée vers la lecture et l’écriture surtout. » Elle a commencé à tenir un journal intime à huit ans pour faire comme les personnages de séries. Elle découvre Baudelaire, William Black et René Char à 12 ans lorsqu’avec sa soeur elles ont eu leur premier ordinateur avec Encarta (une encyclopédie en ligne). Cette rencontre avec Baudelaire a été décisive selon Toute Fine : « Le premier poème que j’ai lu c’était »Le Lac » un poème magnifique sur le temps, puis »L’invitation au voyage » de Baudelaire (…), il est définitivement mon poète préféré, c’est même lui qui m’a initiée au slam, j’étais obsédée par lui, j’avais les Fleurs du Mal en papier et en audio aussi, une voix d’homme sulfureuse clamée avec douceur, la poésie des damnés dans mes oreilles, l’extase et c’est encore de l’envie de faire pareil qu’est née, des années après, Toute Fine la slammeuse. » Mais il y a aussi des influences du net comme Solange te Parle qui l’inspire « pour la dévotion qu’elle a à son personnage » ainsi que la chaîne YouTube Nowness. D’après elle, « Toutes ces rencontres artistiques là ont fait la Toute Fine d’aujourd’hui qui jongle entre, la prose, la poésie, le slam et l’univers de la conception vidéo et ses multiples facettes. » Parce que son point de vue est précieux et pour ses mots aiguisés nous voulions la mettre à l’honneur ce mois-ci dans la catégorie artiste du mois.
L’Algérie est un pays où plusieurs langues co-existent et parfois se concurrencent. Toi, tu sembles faire le choix d’explorer un peu toutes ces langues: la fosha (arabe classique), le français mais aussi, et peut-être surtout, la darija/derja. Comment expliques-tu ton choix de la langue lorsque tu écris un texte ? Quel est ton rapport aux langues que tu pratiques ?
Proposer des créations en darija c’est politique ? Dirais-tu qu’il y a une revalorisation de la darija parmi les jeunes artistes et écrivain.e.s algérien.ne.s ?
Oui, quand je veux parler de l’Algérie profonde, je le fais en Derja, quand je veux parler de société et/ou de politique je le fais en la langue la plus apte à toucher l’algérien.ne qu’il ou elle ait fait des études ou pas. La Derja est pour moi la langue qui rassemble toute l’Algérie et je crois vraiment qu’il y a un intérêt grandissant pour cette langue qui est bien plus qu’un simple dialecte et qui porte en elle beaucoup de légèreté, de force et de beauté.
Indépendamment du médium (la langue), le contenu de tes créations est politisé. Tu alternes entre les langues autant qu’entre les sujets de société. Tu racontes Oran, les femmes dans l’espace public, le féminisme, le “voile” (ou plutôt les voiles), mais aussi la jeunesse algérienne, le racisme. Quelle a été la réception de cette parole “indisciplinée” que tu portes en Algérie et en France ?
Tu as commencé Toute fine avec les réseaux sociaux, dirais-tu qu’ils transforment ta manière de créer et de montrer ton art ?
Récemment tu as publié ton premier recueil “Presque deux”, c’est à la fois l’aboutissement de deux ans d’existence dans les réseaux sociaux et un nouveau commencement. “Presque deux” c’est aussi la dualité entre Zoulikha et Toute fine “l’une se prend les coups et l’autre les exprime et toutes les deux veulent que ce recueil soit la voix de toutes celles et de tous ceux qui en ont besoin.” Peux tu nous raconter ton recueil, en explorant cette dualité là, c’est à dire du point de vue de Zoulikha et de Toute fine ?
Des écrivaines, poétesses, artistes qui t’inspirent ?